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Mouvement de rénovation culturelle et artistique qui prit sa source en Italie au xve s. et se répandit dans toute l'Europe au xvie s.

BEAUX-ARTS

1. Définition

Sandro Botticelli, la Naissance de Vénus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le terme de Renaissance est l'équivalent français de l'italienrinascimento, ou rinascita : le renouveau des arts européens, lequel prend sa source, au xve s., en Italie, où il est associé à la redécouverte de la littérature, de la philosophie et des sciences de l'Antiquité ainsi qu'à l'évolution des méthodes empiriques utilisées pour l'étude de ces disciplines (voir aussi : Renaissance [musique]).

1.1. Évolution du concept

Apparu en 1568, dans la seconde édition des célèbres Vite de Vasari, le terme Rinascita traduit un état d'esprit qui remonte au siècle précédent, mais qui s'est durci. (→ humanisme.) Vasari condamne avec véhémence « le style trouvé par les Goths, qui ruinèrent les édifices antiques », « ces travaux qu'on appelle tudesques […], que les grands maîtres évitent comme monstrueux, barbares, et ne répondant plus à aucun ordre » : « Renaissance » s'opposera désormais à « Moyen Âge ».

1.2. Le xixe s.

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel-Ange, Moïse

Plus tard, Jacob Burckhardt (1818-1897) et Taine nourrissent le concept individualiste de l'artiste renaissant d'un abondant terreau de faits sociaux et de portraits.

À la fin du xixe s., une certaine image de la Renaissance paraît définitive : elle n'est pas remise en question par ceux-là même qui la détestent, un Ruskin pleurant la « naïveté » perdue des « Primitifs », Louis Courajod (1841-1896) dénonçant l'assassinat d'un art gothique en pleine vitalité.

Son déroulement historique, tel que le présente par exemple Eugène Müntz (1845-1902), ne laisse place à aucun doute. Les arts atteignent leur apogée au début du xvie s., dans la Rome de Jules II et de Léon X, foyer de cette « Haute Renaissance » (terme préféré des historiens allemands) dont Raphaël, génie « classique » par excellence, apporte l'expression la plus parfaite. Une lente ascension, qui commence avec Giotto, l'a préparée pendant deux cents ans ; un brusque déclin la suit très vite – dès le deuxième tiers du xvie s., alors que la Renaissance conquiert l'Europe –, lorsque les élèves de Michel-Ange, ne sachant comment lutter avec leurs aînés, s'éloignent de la nature pour sombrer dans la virtuosité creuse, l'emphase et la bizarrerie. Cette confuse décadence se poursuit jusqu'aux dernières années du siècle, où surgissent deux pôles nouveaux : en face du naturalisme brutal du Caravage, les Carrache sont les initiateurs de ce retour à Raphaël qui définira le classicisme du xviie s.

1.3. Le xxe s.

Léonard de Vinci, étude

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les perspectives sont moins transparentes pour les historiens actuels. Dès la fin du xixe s., les réactions de Courajod, malgré leur nationalisme souvent puéril, avaient utilement rappelé que durant une grande partie duxvie s. deux arts, gothique et Renaissance, avaient coexisté en Europe. Au début du xxe s., de Adolfo Venturi (1856-1941) à Bernard Berenson (1865-1959), une étude approfondie du quattrocento, mettant l'accent sur les recherches spatiales et « tactiles » des Florentins, les situait non plus comme des précurseurs, mais comme des « renaissants » à part entière. Mais c'est depuis les dernières décennies que les études iconologiques d'un Erwin Panofsky, autant que l'exploration par les historiens italiens comme G. Briganti de ce maniérisme décrié, ont non seulement modifié les jugements de valeur, mais mis en cause la conception même de la Renaissance en tant que cycle historique : celui-ci s'allonge ou se rétrécit, au départ ou à l'arrivée, au gré de ses historiens.

1.4. Cadre chronologique

D'une part, la coupure entre Moyen Âge et Renaissance est apparue à certains comme illusoire, à mesure que se multipliaient les « ponts » entre historiens de l'art, des lettres et de la pensée. On a mis l'accent sur les multiples « renaissances » de l'antique qui précédèrent la Renaissance (renaissance carolingienne auixe s., renaissance ottonienne au xe s., …). C'est par des transitions à peine sensibles – mis à part une Italie réfractaire à l'architecture gothique et plus familière avec la tradition romaine – que chemine une « prérenaissance » qui remonterait au moins au xiie s.

Où commence la Renaissance ?…

Mais où finit-elle ? Beaucoup plus tôt peut-être qu'on ne l'admettait jadis. La réhabilitation du baroque, comme expression des civilisations monarchiques et de la Contre-Réforme, a rejailli sur ses préludes et sur ses sources. Le maniérisme apparaît comme un art non plus de décadence, mais de crise et de renouvellement, reflet de la crise politique et spirituelle où la Réforme a jeté l'Europe. Plus d'un historien clôt la Renaissance en 1527 avec le sac de Rome par les Impériaux : un cycle « maniériste », remplissant les deux derniers tiers du siècle, s'intercalerait entre « Renaissance » et « baroque ».

1.5. Problématiques

Faut-il adopter ces positions extrêmes ? Beaucoup en doutent, compte tenu de deux éléments qui sont déterminants pour tracer le cadre historique de la Renaissance : son contenu spirituel, sa diffusion géographique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Filippo Brunelleschi, hôpital des Innocents, Florence

Il subsiste en effet une différence essentielle entre « Renaissance et renaissances » (titre d'un ouvrage de Panofsky), entre le quattrocento et ce qui l'a précédé. Le retour aux sources antiques ne se traduit plus par la présence isolée de sirènes ou de centaures, par l'imitation de statues, de colonnes et de chapiteaux : c'est un système cohérent d'architecture et de décoration – plans et couvertures, systèmes d'ordres, tracés modulaires –, un répertoire nouveau de thèmes mythologiques et allégoriques, où le nu trouve une place importante. C'est aussi un ensemble d'aspirations esthétiques – traduire parfaitement l'espace et le relief, respecter les canons et l'esprit de l'art gréco-romain –, scientifiques – le « décloisonnement » (Panofsky) entre les arts, les techniques, la pensée –, mais aussi éthiques : exaltation de l'intelligence, de l'individualité, du héros, qui se superpose – sans prétendre les détruire – aux valeurs chrétiennes d'ascétisme, de charité, d'humilité. Or, c'est à Florence, dès la première moitié du xve s., que se conjuguent tous ces éléments ; et les Florentins en ont pleinement conscience, témoin la dédicace d'Alberti à Brunelleschi, en lui offrant son traitéDella pittura (1436) : « … Pour les Anciens qui avaient des exemples à imiter et des préceptes à suivre, atteindre dans les arts suprêmes les connaissances qui exigent de nous tant d'efforts aujourd'hui était sans doute moins difficile. Et notre gloire, j'avoue, ne peut être que plus grande, nous qui, sans précepteurs et sans exemples, avons créé des arts et des sciences jamais vus ni entendus. »

Quant au maniérisme – déviation décadente ou amorce de renouveau –, ce serait une erreur d'en faire une phase autonome de la création artistique : ainsi, on peut à peine parler d'une architecture « maniériste », et l'avènement du maniérisme dans la peinture italienne coïncide avec une diffusion européenne de la Renaissance qui n'a pas lieu partout au même rythme. Encore limitée et superficielle dans les pays du Nord, elle atteint vers 1540, en France et dans la péninsule Ibérique, une sorte de phase « classique », où des artistes nationaux s'efforcent, par-delà l'Italie, de renouer directement avec l'antique. S'ils adoptent une plastique en partie maniériste (ainsi Jean Goujon en France), ils l'incorporent à des programmes que domine le souci d'équilibre et d'harmonie. Il serait donc illogique d'amputer la Renaissance de cette période où elle atteint sa pleine expansion.

1.6. Les grandes étapes

C'est pourquoi, dans un exposé sommaire qui veut seulement esquisser le rythme et le cheminement européens de la Renaissance, il semble légitime de distinguer quatre périodes, ou « saisons », d'inégale durée.

L'une, véritable « printemps », irait de 1420 à 1494, date où l'arrivée des Français bouleverse l'équilibre italien ; purement florentine d'abord, la Renaissance gagne rapidement toute l'Italie.

Dans la deuxième, maturité glorieuse et brève, Rome recueille le flambeau de Florence jusqu'à la dispersion des artistes qui suit le pillage de 1527, tandis que les aristocrates de France se prennent aux charmes des décors nouveaux et que l'italianisme pénètre chez les peintres flamands et allemands.

Avec le deuxième tiers du siècle s'ouvre une nouvelle phase : crise européenne de la Réforme, crise péninsulaire où Venise conserve seule la pleine indépendance, crise maniériste dans les nouvelles cours italiennes, mais aussi maturation de la Renaissance en Europe, Fontainebleau devenant pour les hommes du Nord son foyer nouveau.

Après 1560, les guerres religieuses des Flandres et de France et la conclusion du concile de Trente donnent au maniérisme des aspects nouveaux et portent au premier plan la réforme de l'art religieux, avec une note de ce purisme austère dont l'Escorial est le symbole : « hiver » qui prépare un renouveau ; 1598, avec la mort de Philippe II d'Espagne et la paix religieuse, avec le triomphe du Caravage à Rome, marque la frontière entre la Renaissance et l'âge baroque.

2. Le quattrocento

 

 

 

Sandro Botticelli, la Madone du Magnificat

 

La primauté de Florence dans cette première phase est aussi éclatante qu'incontestée, ses artistes étant réclamés dans toute l'Italie et des sculpteurs comme Donatello etVerrocchio, des peintres comme Fra Angelico et Botticelli ayant exécuté des œuvres maîtresses hors de Florence. Mais, si le rayonnement est constant, les grandes expériences créatrices remontent à la première moitié du siècle.

2.1. Contexte général

Florence

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Favorisée par la prospérité industrielle et bancaire, par le mécénat d'une aristocratie marchande voyageuse pour raisons d'affaires et ouverte à tous les courants européens, parl'émulation des métiers dans l'embellissement de la ville et des sanctuaires, Florence bénéficie depuis un siècle d'une double continuité : la tradition de Giotto, qui maintient le prestige d'une école de fresquistes rivale de Sienne – bien que sclérosée –, la grande entreprise de la cathédrale Santa Maria del Fiore, commencée en 1296, avec les commandes et concours pour son achèvement, qui contribuent à l'éclat plus vif de la sculpture.

2.2. Les fondateurs

Entre 1420 et 1430 intervient la conjonction imprévisible de trois génies, liés d'amitié, familiers avec les monuments antiques qu'ils ont étudiés à Rome et qui donnent le « coup d'envoi » à la Renaissance : un architecte, Brunelleschi ; un sculpteur, Donatello ; un peintre, Masaccio.

Brunelleschi

Vainqueur du concours de 1418 pour la coupole de la cathédrale, fait figure très vite de chef d'école. Jusqu'à sa mort, en artiste intuitif plus qu'en théoricien, il multiplie les innovations, remplaçant l'arc brisé par des arcades portées sur des colonnes à chapiteaux corinthiens, reprenant la formule des basiliques paléochrétiennes à trois nefs plafonnées séparées par des files de colonnes (San Lorenzo, Santo Spirito) ou adoptant le plan centré et la coupole (chapelle des Pazzi). Ses successeurs, Michelozzo, Rossellino, etc., développeront ses recherches en les adaptant particulièrement aux palais et aux villas.

Donatello

Donatello, statue équestre du Gattamelata, Padoue

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Donatello, observateur passionné de la nature, que son tempérament fougueux, sa manière « abrégée » opposent à ses brillants émules – à la technique serrée d'orfèvre de Ghiberti, à la grâce souple de Luca Della Robbia –, emprunte à l'Antiquité un répertoire neuf : éphèbes nus(David), bas-reliefs de putti bondissants, statues équestres de héros (Gattamelata de Padoue). Avec ses disciples, les tabernacles à frontons, les tombeaux « triomphants » sous une arcade, de plus en plus dépourvus de références chrétiennes, envahiront les églises florentines.

Masaccio

Masaccio, Adam et Ève chassés du paradis terrestre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Masaccio, qui, lui, meurt avant la trentaine, apporte un choc encore plus décisif à des contemporains hésitant entre les conventions giottesques et les raffinements précieux du gothique de cour. Sa seule grande œuvre, la chapelle Brancacci au Carmine, leur découvre un style épique, ample et puissant, où la noblesse simple des draperies du Christ et des disciples comme les nudités pathétiques d'Adam et Ève montrent l'assimilation parfaite de l'antique, où la lumière frisante accuse la construction robuste et le relief des groupes disposés en profondeur. Tous les contemporains et cadets de Masaccio, voire des aînés comme Masolino, reçoivent l'empreinte de son génie : elle apparaît même chez des peintres plus épris d'agréments narratifs, de couleurs fraîches et d'arabesques raffinées dans la tradition des enlumineurs, comme Fra Angelico ou Filippo Lippi, auxquels Masaccio enseigne la large distribution des figures dans l'espace ; à plus forte raison chez ces constructeurs obsédés par la géométrie et la perspective, et plus soucieux de vigueur que de grâce, que sont Uccello, Domenico Veneziano et Andrea del Castagno. Piero della Francesca, héritier de ce courant héroïque et monumental, apporte en plus, dans ses fresques de San Francesco d'Arezzo (Légende de la Vraie Croix) un raffinement sobre de couleur et d'éclairage, un charme grave, tantôt rustique, tantôt féminin et courtois, qui restent uniques et marquent sans doute l'apogée pictural du quattrocento.

2.3. L’œuvre d’Alberti

Au milieu du siècle, Florence trouve un commentateur de ses acquisitions et de ses aspirations avec Leon Battista Alberti, bien que celui-ci, né d'une famille patricienne en exil, ait moins vécu à Florence qu'à Venise ou à Rome. Homme universel, philosophe et savant, curieux de toutes les techniques, il est à la fois un grand architecte qui va plus loin que Brunelleschi dans le recours à l'antique – avec la recherche des effets de masse, les motifs d'arcs triomphaux et de niches qui créent de puissants contrastes d'ombre et de lumière (Sant'Andrea de Mantoue) – et le premier théoricien des arts : de tous les arts, mais d'abord de celui qui désormais commande les autres, l'architecture (De re ædificatoria, 1452), sous le signe de la raison et de la proportion idéale, et d'un urbanisme à l'échelle humaine qui nous paraît singulièrement actuel.

2.4. Laurent de Médicis

Laurent le Magnifique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le dernier tiers du siècle bénéficie d'une auréole quelque peu fallacieuse : avec Laurent de Médicis, prince sans couronne qui règne un quart de siècle sur Florence, humaniste, poète, collectionneur, le platonisme de l'Académie qu'il a fondée – et que dominent Marsile Ficin pour la pensée, Ange Politien pour la forme poétique – achève de « décloisonner » les artistes.Allégorie, mythologie, nudités aux lignes sinueuses envahissent leur répertoire, même à l'église ; le Printemps ou la Naissance de Vénus de Botticelli, peintre préféré de Laurent, représentent à merveille cette grâce de cour un peu sophistiquée. Mais, si d'autres nouveautés sont significatives – les villas de la campagne florentine décorées de fresques à l'antique, comme celle que Giuliano da Sangallo construit pour Laurent (Poggio a Caiano) –, si le style d'orfèvre, tranchant et précis, que pratiquent des peintres-sculpteurs comme Verrocchio ou les Pollaiolo atteste leur virtuosité, si le paysage et le portrait prennent une place nouvelle dans la peinture florentine. Gozzoli,Ghirlandaio, Filippino Lippi demeurent dans le même temps des narrateurs féconds et populaires.

2.5. Les grands foyers régionaux

Antonello da Messina, Portrait d'homme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En revanche, les conquêtes florentines, répandues dans toute l'Italie, provoquent la naissance de foyers régionaux multiples, qui acquièrent dans la seconde moitié du siècle une personnalité propre et souvent un vif éclat.

Italie du Sud et Sicile

L'Italie du Sud et la Sicile ne jouent qu'un rôle secondaire dans la marche de la Renaissance – quelles que soient la valeur précoce de l'arc triomphal élevé à Naples en l'honneur du conquérant aragonais (1454) et la qualité d'un peintre nomade comme Antonello da Messina, qui diffuse en Italie la technique à l'huile des Flamands : l'heure de ce royaume ne sonnera qu'avec le baroque.

Rome

Pinturicchio, Vie de Pie II

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au contraire, Rome, après le lamentable déclin qui suivit l'exode papal à Avignon et le Grand Schisme, connaît un réveil brillant, grâce à des papes humanistes comme Nicolas V et Pie II. Un double effort se poursuit : « reconquête » urbaine par le dégagement des ruines antiques, la création de voies nouvelles reliant le centre (où s'élèvent des constructions majestueuses comme le Palais de Venise) aux palais du Latran et du Vatican ; décoration des appartements pontificaux et des chapelles vaticanes avec le concours des meilleurs peintres de Toscane ou d'Ombrie – de Fra Angelico pour la chapelle de Nicolas V (vers 1447) à Botticelli, Ghirlandaio, Signorelli, Pérugin pour celle de Sixte IV (1481-1483) et au Pinturicchio pour les appartements d'Alexandre VI Borgia (1491-1494).

Italie de l’est et du nord

Dans l'Est et le Nord, le fait significatif est la multiplicité des foyers d'art suscités par des « tyrans » mécènes, émules des Médicis.

Rimini

Sigismondo Malatesta, qui fait appel à Alberti pour transformer le couvent de San Francesco en sanctuaire funéraire de sa maîtresse Isotta, avec un ample programme d'allégories plus profanes que sacrées.

Ferrare

À Ferrare, alors très prospère sous la famille d'Este, le marquis humaniste Leonello appelle le grand médailleur et peintre toscan Pisanello ainsi que le prince des maîtres flamands, Van der Weyden, dont l'art influence les décorateurs du palais Schifanoia, au réalisme savoureux, parfois âpre et tendu, Cosme Tura et Francesco del Cossa.

Mantoue

La dynastie des Gonzague s'attache à partir de 1460 un des plus grands noms du quattrocento, Andrea Mantegna, peintre également dominateur par la vigueur de ses reliefs, sa frénésie archéologique, l'éclat froid de sa couleur, qui fait revivre la cour des Gonzague dans le décor de leur Camera degli Sposi (1474).

Urbino et Milan : deux centres majeurs
Urbino

Urbino, Italie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La ville devient un centre d'art raffiné sous Federico da Montefeltro, modèle du prince humain et humaniste tel que le célèbre, le fameux Cortegiano de Baldassare Castiglione. Son château, transformé par l'architecte dalmate Luciano Laurana, devient un des plus nobles palais de la Renaissance ; il fait appel à Piero della Francesca comme portraitiste ; et sonstudiolo, avec un admirable ensemble detarsia (décor de marqueterie à effets de perspective géométrique) évoquant les instruments du savoir, avec les portraits peints de sages et de poètes de tous les temps, est un des hauts lieux du quattrocento : c'est dans ce milieu que naîtront et se formeront Bramante et Raphaël.

Milan

Milan devient sous les Sforza un lieu d'accueil privilégié pour des artistes humanistes et savants : les Florentins Filarete, architecte et théoricien hardi avec son grandiose Ospedale Maggiore cruciforme, et Léonard de Vinci, qui y peint sa fameuse Cène ; l'Urbinate Bramante, qui prélude avec la coupole de Santa Maria delle Grazie à ses grandes créations romaines. Mais le goût lombard révèle une note distincte : Milan poursuit l'œuvre gothique de sa cathédrale, et l'architecte Giovanni Antonio Amadeo apporte dans ses créations (chartreuse de Pavie, chapelle Colleoni à Bergame) un jaillissement d'invention ornementale, une surcharge tumultueuse bien éloignés de la pureté florentine et qui, par cela même, feront la conquête des néophytes étrangers.

Venise

Verrocchio, statue équestre de Bartolomeo Colleoni

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le cas de la grande république maritime et marchande, Venise, est à certains égards comparable. Longtemps à part, marquée par ses contacts avec le monde byzantin, elle devient au xve s. une puissance italienne par la conquête de la « terre ferme », avec Padoue, l'antique cité universitaire, et le Frioul : d'où des contacts multipliés, tant avec l'Allemagne gothique qu'avec le reste de l'Italie ; d'où l'appel à des peintres « avancés » comme Andrea del Castagno ou Mantegna, à Verrocchio pour la statue de Colleoni. Mais Venise garde sa personnalité propre, gothique et orientale, pacifique, somptueuse et raffinée, avec le déploiement le long des canaux de ces palais dont les loggias et les multiples fenêtres à colonnettes s'opposent aux façades rébarbatives des palais florentins. De même dans la peinture, qui se dégage tardivement du byzantinisme, mettant les recherches florentines de perspective au service d'un goût narratif et paysagiste : des maîtres commeGentile Bellini et Carpaccio sont essentiellement des chroniqueurs de la vie vénitienne, de processions et de cortèges dans un féerique décor d'architecture et d'eau. C'est seulement à l'extrême fin du siècle que Giovanni Bellini, dans ses grands retables (Vierges trônant entourées de saints), dans quelques allégories profanes, atteste une science de la composition et de la perspective jointe à la couleur chaude et à l'opulente sérénité qui vont devenir la marque propre de Venise.

3. La Haute Renaissance

Léonard de Vinci, la Vierge à l'Enfant avec sainte Anne et saint Jean-Baptiste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce terme, cher aux historiens allemands pour désigner l'art italien dans le premier quart du xvie s., est pris dans un sens « hiérarchique » et non chronologique. Il est parfaitement admissible pour désigner un « âge d'or », un bref moment d'équilibre, de plénitude heureuse, mais à condition de le concevoir comme la suite logique et le couronnement du quattrocento florentin.

La polyvalence de ses plus grands maîtres, Léonard de Vinci, Raphaël, avides d'explorer toutes les voies de la connaissance, persuadés de la haute dignité et de la liberté de l'artiste créateur ; leur familiarité avec le monde antique grâce aux progrès de l'archéologie et à la multiplicité des traductions ; leur universalisme, avec le souci de réconcilier paganisme et christianisme dans leurs expressions les plus hautes – ce sont là les aspirations florentines qui se réalisent, même si Florence a perdu sa primauté.

Il est juste de saluer Alberti comme une « première version » de Léonard. Celui-ci, quel que soit son apport incontestable comme peintre – avec la magistrale aisance de composition et la subtilité psychologique que traduit la Cène, avec le charme de ses figures énigmatiques, volontiers androgynes, dans des paysages que la technique du « sfumato » baigne de mystère –, est beaucoup plus grand à nos yeux comme scrutateur de l'univers, dont les prodigieux dessins des Carnets illustrent la curiosité divinatrice. Mais ce Florentin nomade et inquiet n'a jamais trouvé un espace à sa mesure, sauf pendant quelques années milanaises.

3.1. Rome

Jules II

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les grands réalisateurs sont ceux qui travaillent pour Jules II et Léon X, les rénovateurs de Saint-Pierre et du Vatican, tandis que Florence se relève lentement de la crise qui suit la mort de Laurent de Médicis et que se déchaîne en 1494 la prédication de Savonarole : le trouble des âmes s'y reflète avec une note parfois tragique chez Botticelli dans sa dernière Adoration des Mages et son illustration de Dante, chez Signorelli, âpre précurseur de Michel-Ange, dans ses fresques d'Orvieto.

À Rome, deux papes mécènes – l'un tyrannique, l'autre charmeur – donnent sa chance à la trilogie majeure dont les créations frappent d'emblée l'Europe et lui montrent à la fois les trois visages de la Renaissance, l'intellectuel, le dionysiaque, l'apollinien.

Bramante

Parmi l'équipe de grands architectes – Antonio da Sangallo le Jeune, Peruzzi et même Raphaël – qui vont renouveler le visage de Rome, Bramante incarne la rigueur, la volonté de pureté à la fois antiquisante et mathématique qui s'exprime notamment par l'obsession des plans circulaires ou en croix grecque, du « tempietto » de San Pietro in Montorio à la coupole du nouveau Saint-Pierre.

Michel-Ange

Michel-Ange, Moïse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Irascible adversaire de Bramante, Michel-Ange, fait éclater dès 1505 sa« terribilità », son génie de sculpteur épris de formes colossales et tourmentées dans ses premières pensées pour le tombeau de Jules II – avant l'immense recréation de l'univers qu'est le plafond peint de la Sixtine (terminé en 1512) et la méditation plus stoïque que chrétienne sur la vie et la mort, l'action et la contemplation qu'est la chapelle funéraire des Médicis, commandée par Léon X à Florence.

Raphaël

Raphaël, l'École d'Athènes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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C'est le génie heureux de Raphaël – le peintre des madones, mais plus encore celui des stanzedu Vatican (1508-1517) – qui aura la plus forte répercussion européenne (en partie à travers les gravures de Marcantonio Ramondi) par l'aisance souveraine de ses compositions, leur idéalisme serein, la synthèse rêvée entre le monde del'École d'Athènes et celui de la Dispute du saint sacrement. Et même si notre temps préfère les portraits, la volupté grave du Triomphe de Galatée ou les bucoliques des loggie, il ne conteste pas la suprématie d'un génie entre tous spontané et lumineux.

3.2. Italie du nord

Un jaillissement, un bonheur de création presque égal apparaît au même moment dans l'Italie du Nord, où la peinture s'épanouit, à Venise et à Parme, dans un climat différent, essentiellement « luministe » et coloriste.

Giorgione

L'apparition, fulgurante et brève, de Giorgione marque Venise pour tout le siècle, avec l'opulence des formes nues baignant dans une lumière humide et dorée (le Concert champêtre), les paysages préalpestres ruisselant de verdure et d'eaux devant un horizon de montagnes bleues, avec un sentiment neuf du mystère de la nature et de la fugacité de l'instant (la Tempête). Après sa mort prématurée, Titien, son collaborateur, venu comme lui de la « terre ferme », recueille son héritage.

Titien

Titien, Vénus avec Cupidon et un organiste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En peu d'années, Titien conquiert la gloire. Il la doit à l'éclat chaud de sa couleur comme à l'harmonie des ordonnances, à la beauté blonde des courtisanes vénitiennes transmuées en déesses (cycle mythologique peint dès 1523 pour le duc de Ferrare) : c'est le début d'une longue royauté.

Le Corrège

Cependant, tandis que la Lombardie recueille la tradition léonardesque avec plus de suavité (Bernardino Luini), un isolé, le Corrège, apporte à Parme une note personnelle : son clair-obscur chatoyant, fluide et vaporeux – aussi bien dans les grandes décorations que dans les figures féminines, madones ou représentations de sainte Catherine, Léda ou Danaé, presque égales en langueur voluptueuse – est à l'origine d'un courant durable dans la peinture européenne.

3.3. Diffusion en Europe

Buste de femme en médaillon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette période exceptionnelle est aussi celle où l'Europe est conquise par la Renaissance. Jusqu'alors, l'italianisme n'avait pénétré en d'autres pays que par des décors figurés sur des peintures et des miniatures (Fouquet), à la rigueur par des tombeaux commandés en Italie ou par des sculptures dues à des Italiens de passage (Francesco Laurana à la cour d'Aix-en-Provence, pour le roi René d'Anjou). Mais, à la suite des expéditions françaises à Naples et dans le Milanais, à partir de 1494, les luttes confuses qui opposent Français et Espagnols vont mettre en contact avec l'Italie une élite de grands seigneurs et de prélats qui s'émerveillent des palais, des villas, des jardins riches de statues et de fontaines, et s'efforcent de les transplanter dans leur pays. Cet italianisme ne pénètre d'abord que très superficiellement : il se limite à un placage de décors nouveaux sur les structures traditionnelles.

Mais des situations presque semblables ont des résultats quelque peu différents.

Espagne

Salamanque

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'Espagne, déjà implantée solidement à Naples, est plus précoce que la France. La grande famille des Mendoza, diplomates ou guerriers, emploie un architecte castillan sans doute formé en Italie, Lorenzo Vázquez. Celui-ci, vers 1490, dresse au collège de Santa Cruz de Valladolid, sur fond de bossages florentins, une juxtaposition d'ordres classiques et de pilastres gothiques. À Valence, trait d'union entre Naples et l'Espagne, Fernando Yáñez et Fernando de Llanos peignent entre 1507 et 1510 le grand retable léonardesque de la cathédrale. Mais c'est surtout Grenade, reconquise en 1492, qui va devenir le « banc d'essai » de l'italianisme : le château de Calahorra, qui se dresse dans la sierra à 1 200 m, fief d'un Mendoza, cache dans son enceinte un patio à médaillons et à frises exécuté sur place par des sculpteurs génois. À ces œuvres s'ajoutent les décors architecturaux qu'on appelleplateresques, traités en faible relief comme des retables extérieurs et dont la broderie associe souvent les motifs mudéjars de stuc aux marbres italiens (patio « trilingue » de l'université d'Alcalá de Henares, avant-salle capitulaire de la cathédrale de Tolède). Dès le début du règne de Charles Quint, si le plateresque transforme surtout l'aspect d'édifices civils (comme la façade de l'université de Salamanque), il touche très vite l'art religieux. À côté de décors exécutés par des sculpteurs italiens, à côté des grilles monumentales de chapelles qui adoptent le vocabulaire nouveau, absides et façades reçoivent des décors plaqués de grande envergure tout en conservant les formules caractéristiques du style « Isabelle » (motifs héraldiques monumentaux) ; c'est ainsi que Rodrigo Gil de Hontañón travaille à la cathédrale de Plasencia et à San Esteban de Salamanque.

Portugal

Beaucoup plus lente est la pénétration de l'italianisme au Portugal. C'est seulement vers 1520 qu'il se manifeste à Lisbonne, au monastère de Belém, avec l'entrée en scène de nouveaux maîtres d'œuvre, et à Coimbra, avec l'apparition d'une équipe de sculpteurs d'origine française.

France

Château de Chambord

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En France, c'est dans des zones très localisées que la Renaissance apparaît autour de 1500 : en Touraine (Amboise, Blois, l'atelier des Juste à Tours) et, grâce au mécénat du cardinal d'Amboise, dans la haute Normandie (château de Gaillon). La « détente » de la seconde moitié duxve s., la transformation des châteaux avec leurs façades régulières sur les jardins lui avaient déjà préparé la voie, et le décor nouveau s'entrelace naturellement aux éléments gothiques. En revanche, après 1515, les châteaux de François Ier et de son entourage (aile nouvelle à Blois, Azay-le-Rideau, Chenonceaux…) éliminent le décor gothique tout en conservant l'asymétrie pittoresque, les tourelles d'escalier saillantes, des toitures aiguës du siècle précédent. On voit se dessiner, à la façade de Blois donnant sur les jardins et surtout à Chambord, un souci nouveau de régularité et de grandeur. Mais la sculpture et le vitrail, très florissants en Normandie et en Champagne, ne se teintent que superficiellement et lentement d'italianisme.

Flandres et Allemagne

Si la Grande-Bretagne ne fait appel qu'épisodiquement au concours de décorateurs italiens, les Flandres et l'Allemagne, en revanche, manifestent une curiosité assez chaleureuse pour la Renaissance. Mais l'architecture n'y joue qu'un rôle secondaire, quelle que soit la précocité relative du palais de Marguerite d'Autriche à Malines (aile de 1517).

Flandres

Quentin Metsys, le Prêteur et sa femme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce sont les peintres qui, au terme de l'éclatante « renaissance septentrionale » du siècle précédent – celle des « primitifs flamands », dont les recherches étaient, sur le plan gothique, parallèles à celles des Florentins –, se mettent à l'école des humanistes, tel Érasme, dont les relations avec les peintres d'Anvers furent particulièrement cordiales. Le changement des décors d'architecture et des draperies est déjà sensible chez des maîtres de transition comme Gerard David et surtout Quentin Metsys. Mais une étape décisive est marquée par le voyage de Jan Gossart à Rome (1508) avec Philippe le Beau. On doit à Jan Gossart, selon Carel Van Mander, « la véritable manière de composer des histoires pleines de figures nues et de toutes sortes de poésie […] ». Même si ses figures d’Ève et de Danaé ne sont que des bourgeoises déshabillées, d'un réalisme parfois cruel, il ouvre l'ère du « romanisme ». Après lui, Van Orley, imitateur de Raphaël dans ses cartons de tapisserie, Van Scorel, etc., attestent le progrès rapide du goût nouveau.

Allemagne

Hans Baldung, Marche à la mort

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'Allemagne connaît de son côté le rapide et brillant essor d'une Renaissance encore très marquée de gothique – par le dessin tourmenté, le mélange de moralisme religieux et de fantastique – et oùla gravure égale en importance la peinture. L'empereur Maximilien, la riche bourgeoisie de Nuremberg et d'Augsbourg (les Fugger), les imprimeurs partagent les mêmes curiosités, qui se portent vers Venise plus que vers Rome. Les deux voyages de Dürer à Venise, en 1494 et en 1506, ont élargi l'horizon d'un artiste de génie ; Dürer recueille l'héritage médiéval et reflète l'inquiétude religieuse de son temps, mais il s'exprime avec des formes plus largement plastiques – tributaires des leçons de Bellini – et avec une curiosité quasi mystique du paysage, de l'insecte, de l'oiseau – qui l'apparente à l'universalisme de Léonard. À coté de lui, Holbein le Jeune, avec le grand style de ses portraits comme avec ses décorations à l'antique de Bâle (1521-1522), qui introduisent la fresque en pays germanique, Cranach et Baldung Grien, avec leurs nudités grinçantes, les Suisses Urs Graf et Niklaus Manuel Deutsch, avec leurs reîtres habillés à l'antique, attestent la force et la diversité de la pénétration italienne. Celle-ci, plus lente dans la sculpture, où la tradition d'un réalisme expressionniste s'est maintenue avec éclat, apparaît pourtant dans les grandes œuvres funéraires de Riemenschneider ou des Vischer.

 

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