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Marc Jadot,

chronique ecrit pendant et à aprés l'aventure depuis Tahiti

                                  TEXTE 1, EXTRAIT

Le 15 août 2014,

ça fait sept ans que j’ai pris position et que je guette.
Aujourd’hui, j’ai appris par internet que la caravane se remettrait en marche à 12h30. 
Ce matin, elle était géo-localisée dans un petit village dénommé Larche, rue de la Clavette. Latitude Nord 44 degrés, longitude Est 6 degrés. Je crois que c’est en France. Il ne me reste plus qu’à attendre. Attendre qu’elle approche. Lentement mais sûrement. Haere maru, haere papu. Piano ma sano. Et qu’elle arrive jusqu’à moi.
J’ai trouvé un endroit juste en face de Moorea, sur la côté Ouest de l’île de Tahiti, au-dessus de la passe de Taapuna, qui me permet d’embrasser l’ensemble des 8 montagnes qui forme une chaine dont le point culminant est le mont Tohiea. 1 200 m d’altitude, autant de bonnes raisons pour accrocher chaque nuage qui passe à proximité de l’archipel des îles du Vent. 
J’ai choisi cet endroit car en fin de journée, la trajectoire descendante du soleil se meure juste derrière cet horizon fracassé. 
Ainsi, le soleil, la terre et moi formons une ligne droite parfaite. Et j’aime dans mes entreprises que les choses apparaissent simplement justes et parfaites.
Ainsi, à l’heure où le ciel prend une couleur sable et où les aspérités du paysage se noient dans les vagues, absorbées par les plages mal délimitées, des cocotiers pliés en pointillé et de l’écume qui se déverse dans le lagon ;
A l’heure où les frontières n’ont plus de raison d’être, où la nature choisit d’abolir les différences entre ses éléments, où elle affranchit les formes et les matières ;
A l’heure où il n’est plus vraiment important d’être le contenu ou le contenant, où le liquide s’évapore, où les nuages s’étirent et pleurent de joie aux couleurs de l’arc en ciel ou crachotent de manière trop enfantine ;

............................


A l’heure où le temps suspend sa chute inéluctable, qu’il ne file plus entre les doigts de son maître, qu’il ne coule plus de source, que les grains se grippent sans raison apparente ;
Au moment étranger où le créateur se surprend à rêver d’une œuvre qui ne lui appartient plus, où le spectateur sort de sa sieste et s’apprête à annoncer qu’il est « subjuguer » ;
Quand le geste de créer se fond dans une longue marche qui semble paisible, dans un long parcours intérieur tumultueux, dans un silence profond et lourd de sens ;
Quand le discours n’a plus besoin de mots pour exprimer la beauté ;
Quand l’essentiel se concentre dans les lignes de démarcation s’effaçant et se perd dans un fond sans fond, dans un principe dissout, une zone grise qui pourrait nous trahir ;
Quand le fait de s’embourber devient une performance, aussi anecdotique soit elle. 
Quand la fatigue de la journée s’efface au profit de la fatigue de la nuit. Le mal chasse un autre mal et nous inonde de regrets ;
Et quand tomber est l’ultime pas vers la victoire.
Je sais que c’est à ce moment précis, qui se résume finalement à « quand le soleil disparait pour aller je ne sais où », qui doit durer à peine plus de dix minutes quand on est si proche d’un hémisphère ;
Je sais que c’est à ce moment précis que je verrais la silhouette majestueuse du pachyderme. 
Je sais que je ne pourrais pas la manquer. Aucune chance. Pas de danger ni de hasard dans cette quête. Aucun recoin où se cacher. Depuis la nuit des temps, nous avons été des armées entières à élaborer une stratégie, peaufiner une méthode. Etre toujours dans une fuite en avant. Aujourd’hui, il s’avère que nous touchons au but. Alors après plus de 2 230 ans et des poussières de vies sacrifiées à attendre la fin, la fin du voyage à travers ces montagnes escarpées, je sais qu’il ne pourra plus m’échapper et que je saisirais ce moment de grâce avec une délectation de brigand repenti. Et la boucle sera bouclée.
A bientôt qui que tu sois. Hier Hannibal, aujourd’hui Luc. Entre temps, des foules anonymes que je n’ai pas daigné considérer. Qui que tu sois, je t’attends.

Marc Jadot,

chronique ecrit pendant et à aprés l'aventure depuis Tahiti

                                  TEXTE 2  EXTRAIT

Le 16 août 2014 :

Depuis hier, je scrute chaque faille, chaque crête, où apparaitra la caravane. 

J’ai appris ses armoiries, sa façon de penser, sa silhouette. J’ai suivi chaque dessein qu’il a pu fantasmer et tracer à main levée au cours de ces quinze dernières années. Je connais ses faiblesses. Je connais ses forces aussi. Et comme pour beaucoup d’entre nous je crois pouvoir dire qu’elles se confondent. 

Mille fois, j’ai imaginé cette silhouette majestueuse franchir les sommets et redescendre en ma direction ;

Mille fois, je l’ai imaginée sous un ciel étincelant de mille croix du Sud, d’étoiles éphémères qui strient les ténèbres et s’en vont mourir dans l’indifférence, de voies lactées auréolées et épaisses comme la brousse ;

Mille fois, au petit matin, quand les couleurs se confondent en une palette infinie de pastels, quand les nuages restent encore pour un court instant accrochés aux pics montagneux et que les courbes accidentées s’effilent en dégradés vers des cieux indicibles ;

Mille fois, j’ai pensé que la caravane arriverait sous un soleil de plomb, celui de la mi-journée, celui du zénith qui tabasse, brûle la peau et la déchire pour mieux la brûler à nouveau, tel un autodafé de palimpsestes trop érudits pour savoir se défendre des agressions sauvages. Celui qui simule des mues mais qui détruit les couches successives de l’épiderme pour venir carboniser le cÅ“ur de la machine. 

Ce même soleil de plomb, de sel, de mercure, de souffre qui aura raison de toi avant de me donner tort. 

Toujours ce même soleil de plomb, que tu traverses la Perse ou que tu plonges dans le berceau iodé des civilisations, que tu découvres un nouveau monde, un nouveau continent ou que tu t’endormes dans ton jardin après avoir bu trop de vin. Que tu gravisses des monts impressionnants ou que tu franchises des ravins énigmatiques. Que tu pousses, que tu tires.    J’a......plusieurs fois effectué le tour du monde et au bout du compte je n’ai rien vu d’autre que ce soleil de plomb s’amuser de mon ombre.

Toujours ce même soleil de sel, qui servait de salaire du temps d’Hannibal Barça et bien avant encore. Qui a fait s’ériger des pyramides, des châteaux, des cathédrales. Cet astre qui donne du goût à nos larmes et qui pourrait nous faire crever la bouche ouverte dans un silence de fin du monde. Celui qui précède la bataille.

Toujours ce même soleil de mercure, métal liquide qui défie les lois de l’apesanteur. Rencontre du matériel et du spirituel. Rencontre de la lune et du soleil. Rencontre d’une statue d’éléphant et d’une marmotte émue. Rencontre de deux êtres qui ne sont pas faits pour se rencontrer.

Toujours ce même soleil de souffre, de souffrance car c’est dans la souffrance qu’on réalise souvent de grandes choses. « Je vous promet du sang, de la sueur et des larmes », je vous promet de belles ascensions dont nous parlerons avec délectations dans plusieurs lustres. Ce souffre qui éloigne la vermine, qui entre dans la composition de la poudre à canon mais aussi de l’engrais pour nos roses écloses au petit matin toute émues de perles d’eau délicates. Principal ingrédient pour mitonner de puissants acides. N’oublie pas non plus que tu as lu un best-seller où il était question d’une pluie de souffre qui s’abattit sur la ville de Sodome comme châtiment divin : « passez au vitriol tout ce que nous pensons enfoui au plus profond de nous, faites en sorte que tout remonte, à fleur de peau, dans un frissons, une sensation étrange que procurent parfois certaines œuvres d’art ».

Est-ce que ce soleil chargé d’éléments toxiques te permettra de soustraire l’essentiel de ta quête pour ne conserver que le trésor caché ? Je l’espère bien. Et je serais là, à l’arrivée. Aux pieds des montagnes franchies pour constater l’alchimie de ton geste, récupérer l’or et le silence.

Et encore mille autres fois, j’ai imaginé ta procession animalière arriver en fin de journée, quand le soleil décline, qu’il se drape de pourpre pour prendre des airs de soleils consumés. Des couleurs de braises pour évoquer l’heure de l’apéro et des barbecues. Des allures de cigarettes consumantes. 

Ça fait déjà quatre milles fois que je t’ai imaginé depuis ce matin, et j’en oublie sans doute. Senza dubbio.

D’où que tu viennes. Quoi que tu cherches. Qui que tu sois, je t’attends avec délectation.

Marc Jadot,

chronique ecrit pendant et à aprés l'aventure depuis Tahiti

                                  TEXTE 5EXTRAIT

Le 1er septembre 2014 
Il a plu toute la nuit. A chaque coup de tonnerre une pensée s’envolait vers toi comme une coup du sort sur lequel je n’aurais aucune emprise. Vers ton campement de l’autre côté de la montagne, mon regard se tournait espérant voir dans l’éclaircie offerte par le ciel pourfendu un indice de ta présence. Je me demandais si ces inondations allaient accélérer ou ralentir ton ascension. Allais-tu presser le pas sous ce déluge, quitte à perdre un peu plus de force dans la course, et dévaler les versants avec la rage du fou qui danse sur un champ de mines, ou allais-tu temporiser, ralentir le geste, retenir ton souffle pour descendre vers la plaine avec la flamboyance d’un conquistador en habit de lumière.
La barbe clairsemée où coule la pluie glacée, les rides creusées qui pourraient laisser penser que tu es un berger paisible qui reviens de transhumance avec le plaisir palpable de retrouver les tiens après tant de jours et de nuits passés en ermite forcé.
Tu as dû avancer sous les sifflets des marmottes se moquant de ton entreprise. Des centaines de manifestations rieuses avec son triste des amours sans écho. Un milliers de cloches qui raisonnent dans ta tête, un troupeau imaginaire de nuages et de contradictions. Le souffle rauque du vent, dans ce qu’il a de plus aride,.......de plus dépouillé, de plus lunaire, à dû balayer tous ces jours tes pas lourds de sens. Seules les pierres dévalant des falaises dans des semblants de ralentis n’émettaient pas de bruits.
Des camarades courent au devant de la caravane et vont planter des piquets pour assurer l’ascension de l’éléphant. D’autres reviennent sur leurs pas pour chercher les affaires du campement que vous n’avez pas apporter dans la précipitation. De la masse quasi immobile des mouvements arrière et avant engendre un va-et-vient permanent, un mouvement de bascule qui bât au rythme d’un effort intense qui pourrait tous vous foudroyer sur place, sans appel, sans autre fioriture, dans le même silence qui accompagne la chute des pierres dans le vide.

Toujours face à cette montagne de Moorea, par où je sais qu’un jour tu arriveras, j’ai pu lire sur internet (la terre entière a pu lire sur internet ! Sur tous les continents, photos à l’appui, textes de rigueur, annonces officialisées par des colporteurs mercenaires de nouvelles plus ou moins vérifiées) que ta caravane était arrivée à son objectif. Verre de vin à l’appui. Dessins d’enfant. Photo-montage. Paysages collaboratifs un village imaginé avec beaucoup de vraisemblance.
C’est un fin stratagème de faire croire que tu as atteint le but fixé, de vouloir leurrer son monde en diffusant le plus possible des balivernes qui paraissent si proches de la réalité que j’aurais pu être convaincu si je ne me fiais que à ce que je voyais.
Mais ton raisonnement ne tient pas : le galbe de la terre, sa forme si arrondie, en sont la preuve ultime. A force d’avancer, mètre par mètre et même par kilomètre, en ligne droite, de travers, en faisant des boucles et des détours, tu ne pouvais de toute façon pas m’éviter.
La terre est ronde ! Enfant, en culotte courte tu as déjà joué avec une balle, et tu dois comprendre que tu peux encore te cacher, ne pas apparaitre mais qu’il est inéluctable que nos chemins se croisent. Il suffit de faire glisser un doigt sur une bille pour comprendre qu’on ne peut éviter un quelconque point à force de tourner. La vie dans nos avancées n’est pas linéaire. Elle ondule et ne reviens pas tout à fait sur ces pas.
Alors, malgré tout ce qui se dit en ce moment, malgré le fait que la colonne de fumée de la semaine dernière ne venait pas de ton campement, malgré l’obstination des gens à vouloir croire que le voyage est terminé, je reste dans cet endroit paradisiaque que j’ai trouvé juste en face de Moorea, sur la côté Ouest de l’île de Tahiti, au-dessus de la passe de Taapuna, et qui me permet d’embrasser l’ensemble des 8 montagnes.


Maintenant, je sais que le syndrome Hannibal, c’est espérer si fort qu’une chose improbable se réalise, qu’elle finisse par se réaliser.
Je t’attends toujours. Toujours avec la même foi.

Marc Jadot,

chronique ecrit pendant et à aprés l'aventure depuis Tahiti

                                  TEXTE 3 EXTRAIT

Le 20 août 2014 : 

Mes yeux toujours fixés sur la ligne de crête par où, j’en suis maintenant convaincu, tu arriveras avec ta caravane, je me suis souvenu de la disparition de James Cook et dans le bruissement des alizés qui viennent caresser les palmes des cocotiers telles des gammes montées et descendues en boucle allegro ma non troppo sur un violon sans corde, j’ai eu peur pour toi. Puis, j’ai ressenti de la joie, une joie pure et sans raison.

Je me suis alors précipité hors de mon refuge, et me suis mis à courir le plus vite que je pouvais à travers la forêt luxuriante, poursuivi par mes démons et quelques moustiques. J’ai couru plusieurs heures dans le seul but de me perdre sans que rien ne puisse me rattraper. Ni mort, ni remord, ni peur sur-vivante. J’ai alors ressenti une infime partie de ta fatigue accumulée, j’étais essoufflé, les muscles brûlants et j’ai espéré fort qu’en dépit des difficultés rencontrées, tu poursuives ta route, au moins jusqu’à cette montagne qu’on appelle Mou'a Puta, la montagne percée. 

En des temps immémoriaux, venus des îles Tuamotu, qui sont des atolls sans aucun relief, des traces de terre en plein océan qui culminent au plus haut des cieux à deux mètres au-dessus du niveau de la mer, des chasseurs de murènes avaient décidé de voler une montagne à leur rivale Moorea. Mais celle-ci fut rattraper in extremis par Pai, un demi-Dieu réveillé en pleine nuit par son père qui lui demanda d’harponner la montagne avec sa lance magique et de la ramener face à Tahiti. Un trou est resté dans le rocher. Un trou par lequel tu es susceptible d’arriver. Je n’ai pas écarté l’hypothèse. Bien au contraire. Toi qui aimes donner du sens à tes pas. Toi qui chéris les chemins buissonniers. Toi qui cherches une porte pour accéder à « plus loin » pas nécessairement par le plus court des chemins. Je ne serais pas surpris d’apercevoir le drapeau orange frappé du symbole de l’éléphant bleu de ta caravane. Aussi,..... face à la conjoncture non négligeable d’éléments me faisant penser que tu choisiras le trou laissé par la lance de Pai pour sauver sa montagne, je garderai un regard particulier sur cet espace vide, ce rien qui t’ouvrira les portes de la plaine.

Mais, je m’égare car c’est de James Cook dont je voulais te parler. Et de ce que je vais te raconter, tu garderas ce que tu veux garder. Je te laisse le soin d’enterrer le reste dans un coin de ravin accidenté où personne ne va jamais. 

James était un merveilleux découvreur de nouveaux mondes, de paradis à cartographier, de terres inconnues si vastes que même l’église n’osait espérer dans sa candeur géographique de l’époque. Enfant, j’aimais parcourir les carnets de bord de ce navigateur anglais qui a fait connaitre à la vieille Europe la moitié des îles du Pacifique. 

Il a vécu cent vies dans cent galaxies différentes, jamais je ne me lassais de lire sa témérité contenue et son obsession à avancer « plus loin », sans savoir où « plus loin » se situait. 

C’est lui aussi qui a dessiné, en longeant patiemment ses côtes, les 15 000 km de rivage d’Aotearoa, qu’on a par la suite rebaptisée de manière fort vulgaire et sans aucune imagination « Nouvelle-Zélande ». Alors que le nom en maori signifie « le pays du long nuage blanc ». La vieille Europe, dépourvue de poésie et éperdue de profits n’a pu qu’imaginer une appellation administrative sans âme. Moins sexy que la moins chantante des AOC.

James s’est également aventuré jusqu’aux portes et fenêtres du continent Antartique, à la limite du royaume des Hommes, du règne de la Vie. A l’époque, ça devait être bien plus fort que de marcher sur la Lune qui est finalement une banlieue terrestre tellement connu qu’il n’y a plus de surprise à attendre de sa part. Encore une fois, ils ont tué la poésie à grand coups de suprématie idéologique dans le cÅ“ur. Adieu le symbole inaccessible des amoureux qui préfèrent mourir main dans la main plutôt que de louer certains grands pas pour l’humanité. 

Et puis, James est reparti faire le tour du monde par des accès encore vierges de la laideur de nos conquérants. 

En janvier 1779, après avoir longé le continent africain, puis l’Australie, il traversa l’immense océan Pacifique, arriva à Hawaii et fut accueilli comme un Dieu. Un Dieu, pas moins. Crois-moi, comme j’ai cru ce récit trouvé dans un livre sans couverture oublié dans une malle sans inscription : Il fut acclamé et vénéré comme un Dieu. Lui-même ne pouvait le croire. 

Les Pléiades étaient visibles dans le ciel : c’était par chance l'époque où Lono, le dieu de la fertilité «revient» sur terre. Les bons sauvages se racontaient alors de génération en génération une légende où, en cette période d’abondance, de grands oiseaux blancs qui survolent les mers amèneraient le Dieu si bon et généreux. Et James, étrangeté de l’histoire, navigue paisiblement sur son navire Resolution, toute voile dehors, qui ressemble tellement à ces grands oiseaux blancs qui effleurent l’écume des flots. James se présente ainsi à ce peuple dont il ignorait tout le jour d’avant dans le vertige d’une apparition divine qui va donner lieu à des jours et des nuits d’offrandes faites au navigateur sous toutes ses formes. 

Puis l’appel du large, le devoir de repartir encore et encore explorer sans fin un monde qui ne semble pas avoir de limite mais qui pourtant est rond. 

James repart donc à la conquête de nouvelles terres inconnues, mais connait une sérieuse avarie, après deux semaines passées à naviguer, qui l’oblige à faire demi-tour vers Hawaii afin de réparer son navire. Il revient donc le mois suivant s’abriter dans cette baie qui l’a accueilli mieux qu’on fils prodigue, mieux qu’un ange qui pourrait apparaitre pour annoncer une venue inespérée. Seulement, la période a changé. Le présage des bons sauvages qui est transmis de génération en génération les longues nuits épaisses passées à l’intérieur des terres, évoque toujours l’arrivée d’un grand oiseau blanc, semblable aux voiles de la flotte de Cook. Mais cette fois, la légende dit que cette vision qui survole les eaux et fend les flots apportera guerre et malédiction. Ainsi Cook qui pensait être accueilli à nouveau comme un Dieu voit son bateau se faire assaillir par une armée de pirogues aux occupants excités. Son équipage saisi par l’effet de surprise se fait massacrer. Lui même est rossé à mort et finira mangé par ses bourreaux. 

Aussi, qui que tu sois : Descendant d’Hannibal ou artiste provençal. Cacique transalpin ou trafiquant d’expériences humaines. Que tu viennes en paix ou avec l’intention de bousculer les limites de la perception de tes semblables ou que tu ne fasses que passer. Prend garde à toi et à tes éléphants de l’imaginaire. Apprends que tu mets les pieds sur des pierres sous lesquelles dorment des serpents ou autres insectes plus ou moins néfastes à ton ascension. Et que si rien ne bougent, ces serpents deviendront fossiles et traces du passé. Comprends que mener un éléphant dans les montagnes ou dans un magasin de porcelaine, que sortir une œuvre d’un atelier ou d’une galerie, c’est un peu comme découvrir les îles Hawaii, la beauté de ses paysages, de ses suaves et lascives vahinés, et accepter l’idée qu’elles finissent par nous manger.

Alors oui, tu as raison d’apprécier l’Egrégore que tes compagnons de route d’apporte. Que tu en gouttes une bouteille ou un soupçon, une larme de crocodile, deux doigts de passion ou que tu t’enivres jusqu’à en perdre la raison. Maintenant, tu sais que ta trajectoire est la bonne. Elle a entrainé dans son sillon, ce groupe qui partage ton goût des choses extraordinaires. L’énergie ne pourra passer que si chaque maillon de la chaine reste soudé. Quel que soit le nombre de pneus éclatés, quel que soit les ennuis techniques, c’est la vibration collective qui vous permettra d’avancer.

Qui que tu sois, Hannibal, Babar, Luc ou autre.

Qui que tu sois, combattant de l’effroyable, personnage imaginaire, artiste, doux rêveur ou autre.

Je t’attends. Les bras en croix pour t’enlacer.

Marc Jadot,

chronique ecrit pendant et à aprés l'aventure depuis Tahiti

                                  TEXTE 4EXTRAIT

Le 25 août 2015 :

Hier, en fin de journée, j’ai aperçu une colonne de fumée monter vers un gros nuage. 

Un Å“il non averti aurait pu les confondre, mais moi je savais bien que tu étais là, juste derrière la vallée. Tu avais dû établir ton campement et faire un feu de camp, juste avant l’arrivée de la nuit pour ne pas être vu, mais peut être 10 minutes trop tôt car moi, je t’ai repéré au beau milieu du grand théâtre des opérations de l’univers. Je t’avais en ligne de mire, et tout de suite, aux premiers frémissements, au moindre changement dans le paysage, au plus petit mouvement d’air, à une ombre troublée par une brise calme, j’ai tout de suite compris que ces traces laissées en apesanteur, quasiment sans mouvement, comme des poils de chat qui s’envolent à contre-jour d’une journée tiède finissante, avec une grandiloquence particulière, ne pouvaient être que l’évidence, la preuve par l’apparition, la révélation par le non-dit, l’affirmation du silence, la démonstration géométrique du réel par le vide et toutes ses résultantes, que tu étais tout près. 

Le crépuscule ne me rend pas incrédule. Après tant d’années à scruter l’horizon. Ma candeur ne s’est jamais épaissie. Elle n’a jamais été plus palpable qu’une rumeur colportée en des langues étrangères destinées à s’éteindre au fil des générations. Aussi, je pouvais parfaitement imaginer ton campement de fortune, avec ton éléphant totem, tes treuils, tes pics, tes câbles, tes gourdes.......... remplies d’alcool pour endormir les douleurs de la journée, la trace en filigrane de tes efforts. Je voyais ton paquetage, ta gamelle, ton envie d’arriver au bout et ressentir la flamme intérieur du conquérant. Le besoin de chaleur, car si chaude est la journée, les nuits en altitude sont glacées. 

Avais-tu oublié les armées décimées, non par un ennemi se tenant avec bravoure face à l’avancée d’Hannibal, mais par l’atmosphère glaciale et la faim qui venaient prendre les vies de ceux qui ne souhaitaient plus souffrir ? Il leur suffisait de se laisser aller. Faire entrer le froid, tel un poison qui engourdi et fait oublier les douleurs. Il leur suffisait de renoncer, ou plus simple encore : de ne pas vouloir assez fort. L’abnégation comme des palliatifs à tout ce qui nous rend moins fort et finit par nous tuer.

Aussi, que tu sois fait de glace ou de feu, de faim, ou de dépassement de soi, je t’attends sereinement. 

Je t’attends toujours comme depuis toujours je t’attends.

 

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